• Patrimoine et paysage - quelques textes inspirés...



    Impressions croisées 

     

    Texte écrit en 2002 par Jean P., résident , marcheur et amoureux  de Pont-sur-Yonne.

       

    C’est le fruit du hasard, d’une improbable rencontre favorisée par des conditions objectives : depuis bientôt trente mois nous nous sommes fixés à Pont-sur-Yonne, si peu que ce soit, comme en pointillé, l’espace de quelques week-ends par an, de quelques semaines de vacances.
    Rien ne nous prédisposait à venir à Pont-sur-Yonne. Nous découvrîmes la ville, petit à petit, en plein éclat d’abord, sous un soleil implacable, son marché, son église, ses rues animées alors, le vieux pont et le nouveau, les quais de l’Yonne, l’aqueduc dont nous ne savions pas encore qu’il constituait un trait d’union supplémentaire avec Paris, les bois au-dessus de la ville en suivant les balises du GR…

    J’étais sous le charme, accablé de chaleur. C’est plus tard, à l’automne et en hiver, dans les frimas, le vent et la pluie que nous parcourûmes les rues aux noms poétiques : la rue des Fossés qui longe la tranchée du chemin de fer d’un côté, une falaise de craie de l’autre ; la rue du Guichet avec sa façade en brique avec pignon ; la rue des Lanceurs de Pierres qui évoque je ne sais quel ancêtre du jeu de boules, peut-être ; la rue du Château qui ne conduit à aucun château mais comporte une curieuse bâtisse à tour poivrière, malheureusement crépie – le crépi est omniprésent à Pont-sur-Yonne, il recouvre tout, hormis les entourages de portes et de fenêtres ; la pierre n’est guère visible que sur l’église, le groupe scolaire et les murs en craie de la rue Saint-Jean - ; la rue du Moulin à Vent ; la rue des Tuileries ; la rue des Amoureux où les brumes de l’Yonne doivent se répandre pour avérer le romantisme du lieu…

    Nous trébuchâmes sur les trottoirs étroits au revêtement inégal de la rue de la Gare, nous longeâmes l’église, côté nord ou côté sud, et prêtâmes attention à sa façade en passant d’une place à l’autre. Un jour, cette contemplation m’amena à penser à cette petite ville de Moravie où Hrabal, enfant, habita et faillit se noyer dans la fontaine de la grand’ place qui monte en pente douce depuis l’église, baroque celle-là, jusqu’à l’ancienne porte de la ville. Celle-ci franchie, dans une rue étroite, à quelques mètres à droite, une autre porte s’ouvre sur une autre place plus petite, celle du shtetel avec, dans un coin, sa vieille synagogue qui tombait en ruines dans les années quatre-vingts et a été restaurée depuis. A l’écart de la ville, en bordure d’un vallon verdoyant, on découvre le vieux cimetière juif, envahi par la végétation, quasiment abandonné à la moisissure et au délabrement.

    Pour les promenades, il y a à Pont-sur-Yonne, comme au Combray de Proust, deux côtés : les hauteurs, couvertes de bois, au-delà de la voie ferrée, et la vallée de l’Yonne, paysage aquatique au bord de la rivière et des anciennes sablières qui ont donné naissance à de multiples étangs. C’est d’abord les hauteurs qui nous attirèrent, vers Chailleuse et Villemanoche, en traversant le bois de Châtillon, puis en poussant à Champigny. J’ai parcouru ces bois dans tous les sens, m’égarant parfois à suivre des sentiers qui se perdaient, enjambant les troncs renversés par les tempêtes de décembre 1999, m’égratignant aux ronces, m’embourbant dans les ornières gorgées d’eau, attaqué par les moustiques, pourchassé vers Chailleuse par les chiens des chasseurs lorsque je courais le matin. Pour courir, je préfère normalement emprunter le sentier de Villemanoche qui traverse les champs, au-dessus de la nationale, puis revenir par le même chemin en hiver, par les bois en été, et remonter toute la vallée de Chailleuse. Par les hauteurs, nous allâmes à Sens aussi, en suivant l’aqueduc puis en traversant les bois au-delà de  Villenavotte ; nous découvrîmes le paysage inattendu de ce qui est sans doute une ancienne vallée glacière qui s’élève régulièrement de Saint-Martin-du-Tertre à la Ferme des Glaciers, vaste enclos dont les bâtiments austères, massifs, dans leur inquiétante solitude, face au plateau, figurent un invraisemblable désert des Tartares.

    Du côté de l’Yonne, nos promenades souvent suivent la rivière par les chemins de halage, vers Sens, jusqu’au pont de l’aqueduc d’où nous pouvons gagner Gisy-les-Nobles et admirer en passant son ancienne chapelle, ou vers Serbonnes. Dans les parties boisées, ce paysage de l’Yonne, aux eaux parfois tumultueuses malgré les nombreux barrages mais le plus souvent lentes, me rappelle une randonnée au bord de l’Elbe et de son affluent la Cidlina, sous le couvert d’aulnes centenaires plantés sur les deux rives, au terme de laquelle apparurent les ruines d’une chapelle romane en rotonde.

    En vélo aussi nous longeons l’Yonne, jusque vers le petit port de Courlon, et poussons jusqu’au plan d’eau de Vinneuf, pour la baignade, ou visitons les villages. Le côté de l’Yonne est bien délimité par les deux lignes de chemin de fer, l’ancienne PLM et la ligne du TGV, parallèle à l’autoroute. Même en vélo, il est rare que nous franchissions cette dernière frontière pour des incursions à Sergines ou dans la vallée de l’Oreuse où nous déplorâmes de ne pouvoir jouir d’une meilleure  vue  sur le château de Fleurigny (serait-ce le Guermantes de ce côté-là ?).

    De même, du côté des hauteurs, notre territoire est pareillement borné par une ligne qui passerait par Saint-Sérotin et Villethierry et que nous ne coupons que rarement, en vélo, pour nous aventurer à Vallery, par exemple.

    C’est ainsi, les alentours de Pont-sur-Yonne que nous avons découverts et point encore épuisés m’apparaissent divisés en deux pays quasiment fermés par un réseau serré de limites bien marquées dans le paysage, de Villeneuve-la-Guyard à Sens, par les deux voies ferrées et la crête des pays hauts que je trace peut-être arbitrairement, sans prendre de relevé ni consulter la carte, traversés par les deux lignes d’eau, plus ou moins ondulantes, de l’Yonne et de l’aqueduc de la Vanne. Les routes viennent compliquer ce schéma, mais pas tellement : les principales suivent globalement les grands axes définis qui sont ceux de la vallée, avec un sort  particulier - et détestable - pour la bretelle qui joint les deux autoroutes juste au nord de Sens.

    Quand nous avons commencé de nous préoccuper de la sauvegarde de ces alentours, ils n’étaient pour moi que lieux de promenades, d’exercice, de méditation, d’évocation, sans que je sombrasse dans « l’épanchement du songe dans la vie réelle ». Mes connaissances géologiques et éthologiques étaient des plus réduites, ma conception du milieu naturel était très empirique (elle l’est toujours…), mais j’eusse apprécié qu’on se souciât davantage du centre-ville de Pont-sur-Yonne, de sa voirie, de la protection et de la restauration de ses vieilles maisons, qu’on y établît un plan de circulation, qu’on prît des mesures pour nettoyer les sites des anciennes décharges et les restituer à leur état d’origine, qu’on abattît les cabanons abandonnés qui flétrissent le paysage, qu’on enlevât les carcasses de véhicules des terrains en jachère. Souvent je parcourais la vallée de Chailleuse avant qu’elle devînt une cause et un symbole.

                                         C’était hier et je persiste.
                                                                                                                                                      Jean P.

    Cliquer pour un autre texte sur Pont sur Yonne et le blog de l'auteur

     

     

    Pont-sur-Yonne vu par un voyageur en 1851

     

    « Il fut un temps où Pont-sur-Yonne retentissait nuit et jour du bruit des diligences, des pataches, des chaises de poste, des « coucous », où ses pavés criaient sans cesse sous les larges roues des guimbardes flamandes, où son vieux pont tortueux et en dos d’âne, n’était jamais franchi sans quelque danger par le peuple de voitures publiques qui se pressaient sur son étroite surface.

    Aujourd’hui, depuis l’achèvement de la voie de fer entre Paris et Tonnerre, ce bourg important, ou mieux cette petite ville, chef-lieu de canton, assez mal percée et d’un aspect historique curieux, semble s’assoupir sur les rives enchantées qu’elle contemple dans sa muette tristesse.

    Je me rappelle avoir traversé assez souvent Pont-sur-Yonne, la nuit, sous une douteuse clarté de lune. Son pont pointu, l’effroi des postillons d’alors, acquérait une forme gigantesque : il y avait sur ce bourg, sur ce rivage, je ne sais quel voile de mélancolie, qui s’étendait à l’observateur descendant vers Paris ».

     

     Extrait de « Itinéraire général de Londres et pris à Rome et Naples » Joseph Bard (Beaune 1851) Cité dans bulletin SACPY n°8 1985-1986

     

     

     

    Pont-sur-Yonne en 1876 vu par l'abbé Horson.

     

    "Pont-sur-Yonne, 1900 habitants, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Sens, est sirué sur la rive gauche de l'Yonne au pied des deux coteaux séparés par un ravin et baignés par la rivière. A l'intérieur, les rues sont généralement étroites, escarpées, irrégulières, mais vu de la rive  droite, la ville offre un aspect pittoresque."

     

    Note de l'ASEPA : depuis, le ravin a été comblé, la rue centrale (actuellement rue de la Gare) se trouve sur son emplacement.

     

     

     

    Vu du train,

     

    Paysage géologique décrit en 1888 par A. de Lapparent , ingénieur des Mines.

                                                  

    Près de l’aqueduc de la Vanne, les moellons de craie blanche, régulièrement taillée, du village de Pont-sur-Yonne, indiquent que, dans ces parages, la craie campanienne possède une certaine consistance. Cette craie, qu’une grande tranchée entame ensuite, permettant d’y constater la présence de petits silex noirs, appartient à la base du sous étage. Elle se relève au sud et bientôt c’est l’autre terme du sénonien, la craie santonienne, qui va se montrer. Cette dernière occupe, jusqu’à Sens, la base de la berge gauche, tandis que tout le sommet appartient encore à la craie à bélemnites, assez solide pour former de petites falaises, aux parois verticales, qui deviennent grises après de longues expositions à l’air. Pendant ce temps, on voit se relever sensiblement les hauteurs de la rive droite, et des carrières blanches y apparaissent, près du couronnement boisé de la plate-forme capanienne, symétrique de celle de l’autre bord. Contre la rivière, de fréquentes accumulations de belles briques de Bourgogne font deviner que l’argile plastique se poursuit de part et d’autre sur les plateaux crayeux.

     


    1-A .de Lapparent , La géologie en chemin de fer. Description géologique du bassin parisien et des régions                    adjacentes, P.,.Savy, 1888, pp.560-56, cité par Georges Ribeill dans « De la vapeur aux caténaires ». Genèse et essor    de la " ligne impériale " dans la vallée de l’Yonne (1832-1950) édité par les amis du vieux Villeneuve 1995

     

     1a-gravure de Pont


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :