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GEOLOGIE et ARCHITECTURE (2) - carrières et carriers -
Peu de témoignages directs nous sont parvenus sur ce sujet, l’exploitation des carrières s’étant arrêtée au début du XXe siècle.
Cet article s’appuie donc sur
- quelques témoignages vivants de lointains descendants de carriers du XIXe siècle,
- l’aide bienveillante de passionnés et collectionneurs d’outils et de techniques anciennes,
- l’aide logistique d’amateurs d’explorations souterraines,
- la lecture de documents d’archives du XIXe siècle décrivant en détails les carrières de la région,
- la consultation de sites internet relatant l’histoire des carrières de craie exploitées dans d’autres régions autour du Bassin Parisien (Reims ou le Nord Pas de Calais) où s’est constituée il y a plusieurs centaines de millions d’années cette épaisse couche de sédiments calcaires et leur mise en valeur.
Il nous reste à explorer les archives municipales ou départementales pour trouver le nombre de carriers recensés dans chaque village au cours du XIXème siècle, en sachant que ces ouvriers pouvaient être classés "carriers" (travail d'hiver) ou "manoeuvriers" (travail d'été) ou encore "journaliers".
Entre 1858 et 1852, l'Abbé Bunetier(1) dans ses mémoires, compte à Pont-sur-Yonne cinq carriers, Andrée Mignardot(2) dans son ouvrage sur Michery en compte seize dans la seconde partie du XIXe siècle.
Il y a carrières et carrières : petites carrières et grandes exploitations
Dans les régions principalement rurales où partout affleure la craie, chacun était un peu carrier: qui creusant une cave sous sa maison, qui une grotte dans son champ pour y abriter ses outils agricoles, sa récolte de vin, sa production de betteraves ou de pommes de terre, qui débitant quelques moellons pour construire un mur autour de son jardin…ce qui explique la présence de toutes ces grottes et cavités dispersées un peu partout dans les collines autour de Pont.
Cependant on sait qu'il existe dans la grande plaine champenoise du Sénonais d'immenses carrières souterraines qui courent encore sur
des kilomètres, entre Michery et Courgenay, sous les champs cultivés et souvent sous les villages.Nous n'avons pas encore trouvé de documentation écrite sur le mode d'exploitation, ni sur le fonctionnement des chantiers de la région où ont dû travailler de nombreux ouvriers carriers au cours du XIXe siècle.
Il existait des carrières à ciel ouvert, dont il reste quelques traces encore visibles, comme à Soucy et à Saligny,
d'autres avec des entrées "en cavage"dans la colline, comme celle de Michery, d'autres très profondes dans lesquelles on entrait par des puits avec cordes, échelles ou escaliers taillés dans la craie. Celle de Soucy très ancienne, concurrencée par le ciment et la brique a fermé en 1880. Beaucoup d'autres ont continué à fonctionner jusqu'au début du siècle dernier.
*Dans un document de 1858 "statistiques géologiques du département de l'Yonne(3) on décrit à Michery "une belle et très ancienne crayère sur la colline, à 2 kilomètres environ, au-dessus du chemin de Chalopin. Elle perce la colline par des galeries dans lesquelles pénètrent facilement et circulent les voitures. Des piliers massifs préviennent la chute de la voûte ; cependant un affaissement d'une assez grande surface de la masse supérieure eut lieu en 1807. On dit que les galeries pénètrent sous la montagne jusqu'à près de 1 kilomètre. Outre la carrière principale, il y a encore d'autres petites exploitations au même lieu.
L'ensemble de ces exploitations entame la colline sur environ 500 m. de longueur. La craie de ces carrières est d'un beau grain, se taille bien et résiste à la gelée, quand elle est employée sèche.
Au S.-E. de La Postolle au-dessous du bois de la Vallée-Forgeat, il y a une belle carrière en galeries souterraines ; la craie y forme une grande masse, sans fissures, ni traces bien apparentes de stratification, aussi peut-on y tailler des blocs de grande dimension; il y a très-peu de silex et à peine quelques traces d'ananchytes .A Foissy, une craie à peu près semblable alimente des fours à chaux. A Courgenay, un peu à l'Ouest. de la Picardie, on tire pour un four à chaux une craie blanche, tendre, à silex blonds.
Au N. de Saligny, sur le chemin de Heuré, à mi-côte il y a une carrière de 12" de profondeur ouverte dans une belle craie blanche massive, sans fissures, renfermant, à sa partie supérieure seulement, quelques rognons de silex noir ou blond; dans de rares fentes, il y a des masses de craie marneuse jaune, contenant beaucoup de cristaux de calcaire : c'est de ce lieu qu'en 1657 on tira, dit-on, une grande quantité de craie pour la construction des voûtes de la cathédrale de Sens.
Au N. de Soucy, au-dessous de Montaphilant, il y a de grandes et belles carrières qui fournissent d'excellente craie à toutes les localités environnantes et jusques vers Joigny ; elles ont de 30 à 40 m de profondeur et sont exploitées par étages, à ciel ouvert. La craie tendre, poreuse, et comme granulaire, devient graduellement plus fine et plus dure à mesure qu'on s'enfonce; aussi, est-elle d'autant plus estimée qu'elle vient de couches plus profondes; elle est ordinairement massive, sans stratification bien apparente, et présente seulement quelques fissures plus ou moins verticales."Les carrières souterraines étaient exploitées en gradins. Entamant le front de taille dans des positions inconfortables, les carriers retiraient les blocs par couches de 20 centimètres environ, en gradins descendants.
Les moellons ainsi découpés étaient ensuite entreposés pour sécher ; ils devaient passer un long moment à l’abri de l’eau afin de sécher car la craie extraite du sous-sol contient environ 20% d’eau Pour sécher, les blocs étaient empilés en tas, protégés des remontées d’eau du sol par des rondins de bois et abrités de la pluie par des bâches ou des tôles.
Conditions de travail et vie des carriers
Selon Andrée Mignardot « les carriers travaillent surtout l’hiver, morte-saison pour les manouvriers. Partis très tôt le matin pour la journée, ils descendent par des puits étroits
sur les parois desquels les marches ont été taillées et ils s’enfoncent dans les galeries profondes. Ils débitent dans la masse des blocs de craie, façonnent des moellons avec leur « riflard ». Ce travail ne manque pas de produire une abondante poussière blanche que les carriers appellent ‘le repou’. Au printemps tous les moellons façonnées sont remontés à l’air libre à l’aide d’un treuil »
Pour mieux comprendre le travail de ces hommes, il faut imaginer la vie sous terre, en hiver, de l’aube au crépuscule, dans l’obscurité, au froid et à l’humidité éclairé de minuscules lampes à huile, à pétrole ou plus tard à acétylène posées dans de petites niches aménagées : un travail harassant, malsain et dangereux.
"Payés "à la pièce" au nombre de moellons taillés, les ouvriers carriers gagnaient à la fin du XIXe siècle entre 2,50 et 3,50 francs par jour alors qu’un ouvrier menuisier gagnait entre 4 et 5 francs et qu'un kilo de pain coûtait 35 cts. Leur espérance de vie dépassait rarement 40 ans. La reconnaissance des maladies professionnelles n’existant pas à l’époque, rares furent ceux qui termineront leur vie sans être atteint de rhumatismes articulaires, de cécité ou de maladies respiratoires"(4)
Les outils des carriers
La craie est une roche tendre qui ne nécessite pas un outillage très spécifique pour être extraite du sous-sol;
Grâce à la mémoire de quelques "vieux pontois" comme Jean Frais se ou de collectionneurs passionnés d'histoire des techniques et de vieux outils comme Gérard Devaud nous avons réussi à rassembler une partie de la "panoplie" des carriers sénonais : pic, barres, aiguilles,
différentes scies dites "croco de carrier", à une main, à deux mains , burin courbe , "chemin de fer" pour les finitions des moellons.
Les lampes utilisées dans les carrières souterraines, fonctionnaient au pétrole ou à l'huile de colza pendant tout le XIXe siècle puis au carbure au début du XXe .
Mise en valeur des carrières abandonnées: quelques exemples
A Arras, un circuit touristique, aménagé dans les sous-sols de la ville, permet de découvrir l’histoire souterraine d'Arras. Carrières de craie, à l’origine, "les Boves" ont été creusées à partir du Xe siècle et connurent, au fil des âges, de multiples fonctions : caves, silos, abris…
A Lezennes près de Lille, dans le cadre des journées du patrimoine, des visites guidées permettent au public de découvrir le travail de la craie et les carrières anciennes qui, même si on ne peut pas dater avec précision le début de leur exploitation, ont favorisé l'essor urbain de Lille et de sa région
Voyage au coeur de Lezennes: la chronique des carrières souterraines
Certaines grandes maisons de Champagne de Reims ont acheté, aménagé les anciennes carrières de craie sur lesquelles Reims est construite, et organisant des visites, elles en ont fait un argument touristique en même temps que commercial. Certaines sont classées monuments historiques depuis 1931.
Conclusion de ce second chapitre
Les communes de la Champagne crayeuse sénonaise ont, sous leurs pieds, un patrimoine souterrain extraordinaire en même temps qu’une histoire ouvrière rarement évoquée
Même si ces carrières sont moins connues et (peut-être?) moins anciennes que celles citées plus haut, elles sont, sans doute tout aussi belles et dignes d'intérêt et mériteraient de sortir du silence et de l'oubli.
(1) le manuscrit du Curé-Doyen Bunetier fut découvert aux Archives de l'Yonne et transcrit
par Alienor et Pierre Glaizal en 1999, paru dans la Bulletin n°18 de la Société Archéologique de
Pont-sur-Yonne (SACPY)(2)Andrée Mignardot dans "Histoire d'un village du Nord-Sénonais MICHERY" 1996
(3) Statistiques géologiques du Département de l'yonne - Victor Raulin -1858
(4) Voir le site sur les conditions des ouvriers carriers de Mery-sur-Oise en 1910 par Jean Pierre Auger
Quelques photos d'un site interressantPremière partie : UNE HISTOIRE de la CRAIE SENONAISE
Troisième partie : PRESENCE DE LA CRAIE DANS L'ARCHITECTURE RURALE DE LA REGION.Quatrième partie: LE GATINAIS
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Commentaires
2pierreLundi 10 Avril 2017 à 11:08bonjour, pouvez vous me donner des infos sur les carrières souterraines de la champagne crayeuse sénonaise? je suis photographe
merci d'avance!
3pierreLundi 31 Juillet 2017 à 14:36"Cependant on sait qu'il existe dans la grande plaine champenoise du Sénonais d'immenses carrières souterraines qui courent encore sur des kilomètres, entre Michery et Courgenay, sous les champs cultivés et souvent sous les villages."
d'où tenez vous ces infos?
j'ai fait des recherches partout (archives, carte géo, brgm) et je n'ais trouvé aucune carrière souterraine à part celles de michery
j'habitais non loin de la région de l'Oise quand j'étais petit et il y a de très grandes carrières dans le coin, j'en ais exploré pendant des journées entières
si vous avez des infos sur ces grandes carrières sout : pierre-azertyuiop@outlook.fr
mais c'est une légende urbaine, sinon y aurait des documents qui en parlent
dans la zone michery-courgenay, il n'y a que la petite carrière de la postolle, jolie mais modeste
4GeorgesMercredi 8 Avril 2020 à 10:36Bonjour Pierre,
Je vous ai adressé une demande à l'adresse mail qui est notée dans votre texte.
J'espère qu'elle est toujours valide.
Cordialement
Georges
PS : Si quelqu'un connait Pierre et sait comment je pourrai entrer en contact avec lui, je suis évidemment intéressé et vous en remercie.
5FilJeudi 16 Mai à 00:49Je peux dire une chose pierre, c'est que vous vous trompez. Pas de légendes urbaines, notre sous sol est un gruyère. Entre Michery et Courtenay il y a énormément de carrières. Bien sûr elles ne sont pas énormes. Michery est la plus grande du sénonais, mais certaines plus petites valent le coup d'oeil ! Si le créateur du site veut me joindre, il n'y a pas de problème, je suis ouvert à la discussion.
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Merci pour ce travail de recherche qui va certainement se prolonger.
Bien amicalement