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LE GENEVRIER, emblème des débits de boisson jusqu'au XXe siècle
Le genévrier commun « Juniperus communis » alias « Godichat » pour les pontois, est un arbuste qu'on trouve encore, en petit nombre, sur les côteaux calcaires de Pont-sur-Yonne (lieu-dit "le Faraon"). Nous savons que c'est un arbre qui pousse très lentement et peut vivre plusieurs centaines d’années pour peu qu’on lui en laisse l’opportunité.
Nous savons aussi que c'est un survivant végétal de l'époque jurassique, comme la plupart des conifères.
Malgré nos recherches assidues dans divers dictionnaires et ouvrages botaniques, nulle part nous n'avons trouvé trace de cette appellation de « godichat » pourtant largement utilisée par les anciens pontois. Dans la région, ce terme est inconnu.
En 1900, les genévriers couvraient une grande partie des collines calcaires de Chailleuse, des Créasses et du Thureau où paissaient des troupeaux de moutons dont le dernier descendait encore de Miremy juste après la seconde guerre mondiale accompagné d’un berger qui était aussi le propriétaire du troupeau.
Depuis la disparition des troupeaux nomades, qui entretenaient l’ouverture des milieux, les genévriers ont peu à peu disparu, remplacés par les pins plantés au début du XXe siècle qui ont fini par coloniser presque tout le versant; ce nouveau venu, étranger à notre région, a sur-acidifié le sol par la décomposition de ses aiguilles, et restreint dangereusement la végétation à ses pieds annihilant ainsi toute forme d’habitat pour la faune. La disparition inexorable des genévriers sur les Hauts de Pont-sur-Yonne, de plus en plus étouffés chaque année par les pins, fut accentuée jusqu’aux années 2000 par l’habitude qu’avaient les habitants d’aller gaillardement couper les plus beaux spécimens, les plus hauts et les plus anciens (un arbuste de 2 m peut avoir 30 à 50 ans) pour en décorer les rues de la ville lors des différentes fêtes villageoises.
"Le genévier a été chez nous l'arbre de tous les usages, le mai de couverture, le mai des jeunes mariés, le mai du conscrit, le mai du maire, le mai du 14 juillet, le mai des fêtes patronales, le sapin de Noël, et enfin l'arbuste qui éclairait l'âtre le temps de sa combustion" écrit Gérard Devaud dans le bulletin n°7 des amis de Thorigny-sur-Oreuse (1). Une bûche dans la cheminée désinfectait et embaumait la maison.
Les vieux pontois racontent aussi que, dans les années 1950 encore, ils coupaient des « godichats » pour les donner aux lapins qui en étaient friands et les rongeaient jusqu’au bois. Ce régime prévenaient disent-ils, guérissaient même, certaines de leurs maladies.
On découvre peu à peu que cet arbuste, considéré comme inutile voir gênant pour nos contemporains, était un remède universel jusqu'au début du XXe siècle: il symbolisait robustesse, pureté, perennité et protection. Une branche de cet arbre accrochée à la porte d'une maison était censée protèger des sorcières et des serpents. Puissant antiseptique, il était brûlé dans les lieux publics lors des épidémies... et ses baies étaient (et sont toujours) utilisées en cuisine et pour la fabrication du genièvre.
Présent sur tous les continents et à peu près partout en France, spécialiste des pentes abruptes et des terres incultes, résistants au froid, indifférents à la nature du sol avec une préférence pour le calcaire, il n'a qu'une seule exigence : l'ensoleillement.
Le Genévrier, enseigne des cafés jusqu'au début XXéme siécle.
Historiquement, le "bouchon" dont l'appellation provient du vieux français "bousche" (petite botte, petite gerbe) est le nom donné au branchage que tout débiteur de boisson se devait de mettre à la façade de sa maison. Dès le XVIIe nous trouvons trace de cette obligation. En 1680 une ordonnance royale dicte clairement à tout vendeur de vin "à huis coupé et pot renversé (2): "nul ne pourra tenir taverne (3)sans faire déclaration ni mettre bouchon". Le bouchon ne serait donc que l'ancêtre de l'actuel droit de licence de nos débits de boisson instauré en 1816.
Nous avons retrouvé quelques cartes postales anciennes qui témoignent qu'au début du XXe siècle la coutume du "bouchon" était encore pratiquée dans nombre de cafés de la région. Le bouchon devait être choisi dans une essence d'arbre à feuillage persistant le plus souvent le genévrier. Les "jeunes gens" (groupe d'âge pouvant aller des conscrits à tous les hommes non mariés) allaient, de café en café, décrocher le "bouchon" de l'année précédente et suspendre le nouveau, tout décoré de "fleurets" (rubans de couleur) en échange de quoi le patron de chaque établissement se devait de "régaler". Encore en 1950, à Villers-Louis le patron du café "à l'assurance contre la soif", servait du mousseux à cette occasion(4). Les bouteilles vides étaient alors accrochées au "bouchon".
On voit sur cette carte postale de Noé (vallée de la Vanne) que le vin pouvait être servi dans de simple maison d'habitation. Il fallait alors pour respecter la loi et servir d'enseigne, accrocher le "bouchon" qui, sur cette image, sort directement du toit.
Le café Prin de Saint Sérotin appelé depuis "aux sangliers"
accroche une discrète branche en haut de son établissement.
Tout le village est convoqué pour la photo, surtout les enfants tout endimanchés.
A Michery c'est un arbre entier accroché tête en bas. Ce café n'existe plus, à sa
place fut construite la salle des fêtes.
C'est toujours un café : "le maquis de Vareilles", on y vient de loin en fin de semaine
pour y entendre toutes sortes de musiques et y rencontrer toutes sortes de gens !
Au XIXe siécle,en fin de semaine, il devait être fréquenté par les nombreux ouvriers tuiliers
qui venaient y dépenser leur maigre salaire. (voir article sur les tuileries de Saint Sérotin)
pas d'automobile, seulement des piétons et des chiens.. la vie tranquille
pas encore d'automobile, toute la rue est à nous !
la rue est encore libre, le cheval est le compagnon indispensable des divers travaux des champs
pour la photo, devant l'épicerie-mercerie-buvette, les femmes ont sorti leurs beaux atours,
les hommes affichent fièrement leurs vêtements de travail : le forgeron, le jardinier,
le propriétaire de l'automobile avec son canotier ?
et derrière, la premiére et la seule auto du village ou peut-être de la région,
autant dire la vedette....
(1) Dans l'article de Monsieur Gérard Devaud "Bon Bois, Mauvais Bois" page 46
tiré du bulletin n°7 de la Société Historique des Amis de Thorigny-sur-Oreuse
(2) "à huis coupé et pot renversé". C'est une pratique qui a traversé les époques du Moyen Age à la Révolution. Il s'agissait pour les propriétaires viticulteurs d'écouler leur surplus de vin sans payer de taxe. Quand la récolte était trop abondante pour le service de la maison, le maitre avait le droit d'en céder une partie sous certaines conditions : il devait vendre au détail, "au pot", et ne pas jouer au tavernier en faisant entrer le client chez lui. L'huis coupé est une porte divisée en deux volets. Celui d'en bas est fermé, l'acheteur ne peut donc pas entrer, celui d'en haut est ouvert et permet à l'acheteur de présenter un récipient dans lequel le domestique du propriétaire vendeur verse le contenu d'une mesure.
Dans "Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXe siècle", de Roger Dion-Eds CNRS- 2010.
(3) taverne et cabaret
"Ces deux lieux ont eu cela de commun, que l'on y vendoit du vin : mais dans les tavernes on n'y vendoit que du vin, sans y donner à manger; au lieu qu'on donnoit à manger dans les cabarets. Cette distinction est ancienne. Les Grecs nommoient les lieux où l'on vendoit du vin, & ceux où l'on donnoit à manger. Les Romains avoient aussi leurs tabernae & popinae, dont la distinction étoit la même. Les professions d'Hôteliers, de Cabaretiers, & de Taverniers, sont maintenant confondues : la police leur a prescrit quelques regles relatives à la religion, aux moeurs, à la santé, & à la sûreté publique, qui sont fort belles, mais de peu d'usage" d'après l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1758).
(4 ) Les propos de Gilberte et Daniel Denis qui ont tenu le bar-tabac "à l'assurance contre la soif" de Villers-Louis depuis 1947 ont été rapportés dans un article de l'Yonne Républicaine par la journaliste Frédérique Fenouillet "le genévrier reste l'emblème des cafés".
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Commentaires
1GadjoVendredi 10 Mai 2013 à 11:58Bravo et merci pour cet article si bien détaillé. C'est une tradition que je ne connaissais pas. Merci pour la découverteRépondre
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