-
LE PÉAGE DE PONT-SUR-YONNE
Les taxes de circulation des marchandises au XVe siècle
La ville fut, depuis le Moyen Age, le lieu de passage obligatoire des icaunais allant à Paris et le lieu d’un trafic intense de marchandises entre Paris et la Haute Bourgogne. Un document de 1438, conservé aux Archives Nationales détaille l’importance et la diversité des marchandises présentées au pont de Pont-sur-Yonne (soit dessus, soit dessous) soumises au péage.Article de Paul Gache dans l’ Echo d’Auxerre n°81 (mai-juin 1969 ) :
" Depuis la disparition de nos bons vieux octrois, on imagine assez mal qu'il fallait
naguère payer pour faire circuler des marchandises à peu près tous les quinze
kilomètres. Pour nos enfants, il n'y a plus de péage que sur les autoroutes.
Il est donc intéressant de voir quels produits étaient soumis à ces taxes de
route. En particulier à Pont-sur-Yonne, lieu de passage obligatoire pour les Icaunais
allant à Paris ou pour les marchandises parisiennes destinées à notre région.
Justement est conservée, aux Archives Nationales, la pancarte de Pont-sur-Yonne
établie à la suite de sa révision le 23 juin 1438. La pancarte, c'était l'affiche
des produits soumis à péage dans le lieu considéré avec l'indication du prix à
payer par unité choisie.
Son intérêt n'est pas dans les sommes à débourser qui y figurent, mais dans la
variété des marchandises frappées de taxe et dans la diversité des unités choisies
comme base de taxation. Etaient en effet frappées les marchandises les plus souvent présentées au pont, soit dessus soit dessous, et les unités choisies révèlent
une toute autre méthode de taxation que la nôtre.Voici les 37 articles visés par cette curieuse pancarte
et les explications qu'ils méritent.1. La nef
C'est-à-dire le bateau. Il en coûtait 2 sols par bateau, soit beaucoup plus
que pour tous les autres articles taxés généralement d'un ou deux deniers
par unité choisie.
2. Le tonneau de vin.
3. Le tonneau de guaire
C'est-à-dire le fût lourdement chargé, quel qu'en soit le contenu.
4. La pièce de plomb
La pièce était alors une boule d'environ dix-huit centimètres de diamètre,
ou tout morceau non travaillé de volume équivalent.
5. La gibe.
Il s'agit d'un ballot de drap.
6. Le grenigy d'oignons
Comprenez le panier.
7. L'asnée de foin
L'âne était en effet dans nos régions bien plus répandu que le cheval
jusqu'au XVIIe siècle et la charge d'un âne était mesure commune.
8. L'asnée de bûches.
9. La somme d'huile
La somme est une charge contenue dans un coffre de petite dimension
qu'on confiait d'ailleurs aux chevaux plutôt qu'aux ânes.
10. Le muid de cendre gravelée
C'était le produit de la combustion des sarments de vigne affiné par battage dans un récipient contenant du sable.
On en faisait une forte consommation autant pour nettoyer les draps que pour teindre. La capacité du muid était de l'ordre de 300 litres.
La Bourgogne fournissait ainsi la cendre nécessaire aux draperies d'Artois et de Flandre.
11. Le haubert
C'est-à-dire l'armure d'un chevalier.
Il ne se portait plus en 1438 depuis longtemps déjà.
Il s'agit donc d'une survivance d'une pancarte plus ancienne.
12. Le hauberjon
Le haubergeon est un petit haubert sans coiffe.
13. Le millier de cercles
Il s'agit des cercles de fer pour futailles.
La Bourgogne en était importatrice. Prendre pour unité de taxation le millier montre
l'importance du trafic.
14. La pièce d'oing
Il s'agit de graisse pour s'oindre. Comme le mot date de 1260, la première
addition à la pancarte a donc été postérieure à cette date.
La pièce, pour les liquides, était une mesure de poids.
15. Le tonneau de miel
Qui venait du Gâtinais.
16. Le muid de sel
Signe que les salines de Franche-Comté, après avoir desservi tout le département, reculaient devant le sel marin qui pénétrera de plus en plus avec l'amélioration de la navigation fluviale.
17. Le millier de harengs
Même observation: ils venaient grâce aux pêcheurs
d'Abbeville du grand banc de pêche d'alors, le Sund, à l'entrée de la Baltique
Auparavant, on se contentait de poissons de rivière et surtout de viviers
(on estime qu'il y en avait un à chaque kilomètre de rivière au XIIe siècle).
18. La flotte
C'était un groupe d'objets contenus dans un grand panier.
Cet article visait les colporteurs.
19. Le muid de blé
20. La balle d'avoir de poids
Il s'agit d'une certaine contenance en objets soit de mercerie, soit de quincaillerie.
21. La charge de fer
La charge est la forme ancienne de la charretée. C'est donc la première mention d'un trafic qui n'était plus seulement à dos d'hommes ou d'animaux, mais couramment en chariots.
22. Le mortier. C'est le contenu d'une auge de maçon .
23. La queue d'huile La queue est une futaille de contenance variable selon les
régions. Cette mesure est devenue d'un usage fréquent au XIVe siècle.
24, La queue de saing c'est-à-dire de cire.
25. Le cent d'aironnelles Ce sont des petits poissons de mer. La nomenclature
par centaine révèle un état d'esprit plus "moderne".
26. Le cent de maquereaux
27. Le panier de poissons salés
Ces trois articles révèlent la croissance de la consommation de poisson de mer
et aussi la capacité d'en fournir, car la pêche est devenue intensive aussi dans la Manche.
28. La nacelle d'un fût
C'est un bateau plus petit que la nef.
29. Le lot de cuir
Cet article vise principalement les Juifs qui formaient la majorité des corroyeurs.
30. La charretée de plâtre
31. Le cent de fil
Ou plus exactement de très grosses cannes fuselées, la bobine n'apparaissant
qu'à la Renaissance.
32. Le sac de laine
Ce sac était une mesure anglaise.
33. Le fardel de chanvre
Nous sommes ici dans les articles ajoutés à la révision de 1438.
C'est l'époque où le mot fardel s'emploie le plus comme unité de mesure.
Ce fardeau marque un retour au trafic à dos d'homme : il est d'ailleurs très faible
à la fin de la guerre de Cent ans.
A défaut de la laine anglaise qui ne circule pas, on frappe le chanvre qui, pendant trois siècles encore, sera le tissu principal de l'habit rural.
Par cet article, on voit l'appauvrissement qui force à pénaliser même le chanvre
alors qu'initialement on ne taxait que les pièces de drap.
34. Le fardel à col de quelque marchandise que ce soit
On est bien revenu au temps du colporteur dans son sens originel d'homme
qui offre à la vente ce qu'il porte à la force de son cou.
C'est à la fois un signe de recul du trafic, de diminution de ses moyens de transport et de fiscalité étendue à tout, faute de circulation importante à imposer.
35. La somme de cloux
Les clous servaient surtout à mieux unir les colombages des maisons en torchis
qu'on commençait à rebâtir.
36. Le cent de plombs en coin
Comme ils sont plus fréquemment demandés pour les toitures notamment,
on leur applique une nouvelle unité plus onéreuse que précédemment.
37. Le bacon de lard
Ce sont en effet les Anglais qui nous ont emprunté le mot de bacon.
Il s'agit d'un jambon entier. Dans le faible trafic d'alors, on frappe même les produits de survie alimentaire, puisque la région parisienne criait alors famine.
Ces cinq derniers articles semblent donc bien être ceux dont l'insertion
a provoqué la quatrième révision de la pancarte, en 1438,
ce qui nous a valu d'en conserver le texte.On voit comme un simple index des produits taxés dans un péage local, mais
situé sur une route importante, renseigne sur la vie des échanges et d'une
région pendant plusieurs siècles.
Ajoutons que les habitants de Sens n'étaient pas soumis à ce péage, pas plus
que les habitants d'une région comprise « entre les sept châteaux » : Montereau,
Marolles, Bray-sur-Seine, Trainel, Villeneuve-l'Archevêque, Joigny et Courtenay."
votre commentaire