-
MUSIQUES en VOUTES 2011 à MICHERY -L'architecture-
Visite de l’église de Michery commentée le 3 septembre 2011 par Alain VILLES conservateur en chef du patrimoine et vice-président de la Société Archéologique de Sens dans le cadre du festival de Musiques en voûtes.
Ce compte rendu a été rédigé à partir de l’enregistrement fait par Jean-Luc Vignaud que nous remercions.
Pour consulter l'intégralité de la conférence: cliquer ici
La tour-porche
Comme l’a fait Alain Villes nous commençons ce compte rendu par la fin, afin de souligner l’originalité de l’église St Laurent de Michery.
La dernière partie construite est la tour-porche qui ne faisait pas partie du programme initial de construction de l’église. Elle a été rajoutée alors que le reste de l’église venait d’être achevé.
La date de construction n’est indiquée par aucun texte mais, combinant diverses données, Alain Villes propose les années 1200-1215 pour la construction de cette tour. Accolée aux deux contreforts qui encadraient la façade plate de l’église, elle fut montée d’un seul jet jusqu’au niveau du sommet des murs de la nef; à ce moment là, la tour a connu un arrêt net des travaux et il été aménagé une charpente sous forme d’un beffroi à cloches provisoire.
Le porche de 9 mètres de large est construit sur un carré dont le côté oriental est à cheval sur le mur de clôture de l’église. Au-dessus se trouve une grande salle supérieure puis le clocher qui a été terminé à l’économie en 1220.
Le tympan (demi-rosace plus tardive) a toujours été vitré pour offrir un éclairage complémentaire à la nef .Le portail central ainsi que les deux portails latéraux sont en bel appareil de pierres calcaires
La grande tour de façade est située dans l’axe avec un espace abrité en rez-de chaussée, espace de transition entre le domaine profane et le domaine sacré. A l’époque le porche a une utilité spécifique : pendant l’office, les portes ouvertes, l’église accueille les catéchumènes qui n’ont pas encore le droit d’entrer dans l’église, mais aussi les pauvres et les nécessiteux et elle sert de refuge aux pèlerins de passage. C’est un espace de transition entre le monde laïc et le monde religieux : l’asile ecclésiastique, droit de refuge sous la protection de l’église ne s’exerce pas dans l’espace du porche.
La tour était prévue pour s’élever non pas à 31 mètres comme actuellement mais au moins à 40 mètres, elle aurait dû être aussi haute que l’église est longue.
Regardant de près les murs au tout dernier étage on se rend compte que l’épaisseur a été réduite d’un tiers comparé aux murs au-dessus des arcs du porche qui, eux, sont très épais. On suppose qu’ils étaient prévus à l’origine pour supporter une tour beaucoup plus haute.
En 1219 la propriété de la paroisse (donc la commande architecturale) passe à la communauté monastique de St Paul-sur Vanne, très inspirée de l’idéal des cisterciens qui décide de terminer la tour à l’économie ; d’où l’aspect trapu du dernier étage. Eclairée par des meurtrières d’apparence militaire, la grande salle ouvrait vers l’intérieur de l’église par une grande baie, aujourd’hui masquée, chapelle haute constituant une tribune pour permettre aux seigneurs donateurs mais aussi sommet de la hiérarchie sociale, d’assister à l’office en hauteur, en toute discrétion mais en position dominante.
Depuis l’époque carolingienne et pendant le premier art roman toutes les grandes cathédrales avaient une tour-porche. A l’époque de la construction de la tour de Michery, la façade de la cathédrale de Sens était en cours d’achèvement avec ses deux tours succédant à une tour-porche. Le souvenir du clocher primitif de la tour-porche était encore lisible, sensible dans les esprits, très présent dans la mémoire de l’époque et on peut penser que la construction d’une telle tour à Michery est un hommage, une référence symbolique à l’église-mère du diocèse, l’église cathédrale, siège de l’archevêque primat des Gaules et de Germanie.
L’église vue du chevet
Tous les parements de l'église sont en grès stampien, très abondant dans cette région de Champagne, tiré et transporté par charroi. Ils consistent en deux parois murales entre lesquelles se cale un blocage de matériaux divers : silex , morceaux de grès, probablement aussi des morceaux de l’église précédente, le tout lié par un mortier épais enduit pour donner une surface lisse. L’église n’aurait jamais eu cette ampleur et ces proportions monumentales si on n’avait pas exploité les matériaux locaux. Seuls les voûtains (remplissage des voûtes entre les arêtes) sont en craie, matériau léger exploité sur place.
Vu du chevet, il apparait que l’ensemble des maçonneries a subi une certaine torsion sous la poussée de la nef et de la tour, pression sur le chœur qui a eu tendance à se déverser ; pour y remédier on a monté, probablement au XVIIè siècle, un gros contrefort qui occulte la fenêtre axiale.
L’intérieur de l'église
Le chœur est vaste, environ 70 m2, ce qui est considérable pour une église rurale, et bien construit, à l’économie, somptueux mais simple, d’esprit cistercien.
La fenêtre axiale masquée par le contrefort à l’extérieur est occultée par le retable à l’intérieur. Le maitre autel a disparu. Jusqu’au 17è siècle le dallage du chœur s’élevait d’un mètre, au-dessus de la nef elle-même surélevée d’une dizaine de centimètres par rapport au sol primitif, un enmarchement existait et le choeur était séparé de la nef par un jubé dont il ne reste aucune trace.
Sous le dallage actuel du chœur existe un vide encore énigmatique comblé, caveau ou crypte qui mériterait d’être exploré, remblayé probablement à l’époque où on a abaissé le dallage du chœur.
Beaucoup de sépultures existaient dans l’église, les pierres tombales ont malheureusement disparu, brisées ou réemployées pour des restaurations récentes; c’est une mémoire importante de l’église de Michery qui a été saccagée, détruite inutilement ….
Cette église est particulièrement originale car elle a été peu restaurée : elle a été très bien construite et est restée saine très longtemps.
Dans chaque demi- travée il y avait au-dessus de la grande arcade des ouvertures sur combles ouvrant sur l’espace sombre de la charpente qui donnait à l’ensemble de l’église comme une dimension supplémentaire; c’était aussi une référence très simplifiée de la galerie médiane de la cathédrale de Sens qui est un système d’ouvertures sur combles ; toutes les églises cisterciennes ont repris ce système des ouvertures sur combles. A Michery, c’est la signature de l’influence de l’église-mère, église initiale du diocèse, l’église cathédrale siège de l’archevêque.
L’élévation générale de l’église est construite sur un triangle équilatéral de 21 mètres de large, hauteur de 16 mètres 70, correspondant à la crête de la grande toiture. Ce plan complet a été dessiné, au départ sur du parchemin, comme schéma directeur de la construction ; ce programme a été exécuté dans un temps très court par un seul et même maître maçon avec une équipe expérimentée et un tailleur de pierre, peut-être le même homme que le maître maçon, qui souvent, à l'époque, était aussi tailleur de pierre et sculpteur.
Ce constructeur a eu les moyens appropriés et il a construit en un temps très court : cinq ans ont pu suffire pour construire l’église en trois campagnes principales de construction.
D’abord le chœur qui repose sur ses propres murs, a été construit à l’Est de l’église primitive romane ou église de l’an mille ou même carolingienne: car cette paroisse existe depuis très longtemps, au moins depuis le IXème siècle, il y avait donc là, déjà, un lieu de culte.
On construit à l’Est pour ne pas interrompre le culte, dès que le chœur est aménageable pour un culte provisoire, on le transfert dans la nouvelle construction, on abat l’église antérieure, puis on construit un côté puis l’autre séparément, par grands plans horizontaux, le côté Sud d’abord car le plus délicat à cause des effets pervers de la pente, puis le côté Nord ; on note que les piliers Sud sont deux fois plus épais que les piliers Nord.
Trois travées sexpartites divisées en six branches de voûte d’ogives, c’est la voûte gothique avec l’alternance de piles fortes et piles faibles.
On peut envisager 1180 pour la conception et l’exécution du gros œuvre de l’église, un an pour la construction du chœur, deux ans pour un coté, deux ans pour l’autre, un an pour les voûtes donc 6 ou 7 ans ce qui conduit la fin de la construction à 1187.
Sur le mur Ouest, la grande ouverture en arc brisé est encore visible, murée et enduite, c'est dans cette tribune que siégeaient les nobles pendant les offices.
A l’image des basiliques byzantines, des basiliques romaines ou des grandes églises gothiques vitrées, toutes les églises étaient peintes. L’église de Michery était entièrement peinte avec un décor plus riche pour le chœur. Les badigeons actuels datent du XIXème siècle, décor hétéroclite sans intérêt archéologique.
Conclusion
L’harmonie, l’équilibre exceptionnel, la qualité d’exécution du moindre détail décoratif, signale la participation au chantier d’ouvriers très expérimentés venus du chantier de la cathédrale de Sens ou de celui de Pont-sur-Yonne.
La conférence d'Alain Villes du 3 septembre 2011: l'église
-
Commentaires
Merci aux auteurs et rédacteurs.
Il ne reste plus qu'à retourner voir cette belle église !