• LES PONTS-AQUEDUCS

     

    En guise de préambule

     

    Que de ponts à Pont ! Il y a déja les deux ponts-routiers  enjambant  la rivière : le plus ancien construit entre 1687 et 1701 en beau grès de la région,  dont il reste trois  arches (voir les articles) et  le  grand pont métallique  construit dans le but d'éviter les encombrements du centre ville, projeté dès 1938 et mis en service en 1942 (c'est un prototype en poutres d'acier, d'une grande originalité pour l'époque , dont les  piles sont   fondées sur caissons à air comprimé )

    Mais il y a aussi les deux très beaux ponts-aqueducs l'un au Sud de la ville et l'autre à l'Ouest conçu par Eugène Belgrand  et mis en service en 1874, destinés  au transport des eaux de la Vanne pour alimenter en eau la ville de  Paris .

     Gilles Souchet  a écrit en 1998 un long article  sur le sujet dans le bulletin n°18 de la Société Archéologique et Culturelle de Pont-sur-Yonne (SACPY) article  qu'il nous a autorisé à reproduire ici.

     

    LES PONTS-AQUEDUCS

     

    LES PONTS-AQUEDUCS

    texte de Gilles Souchet, ingénieur hydrologue

    photographies de Jean-Paul Brulé

     

    Pont-sur-Yonne est célèbre pour ses deux ponts, l'ancien et le nouveau, qui marquent les étapes de son développement. 
    Il en est un autre plus discret, bien que de grand développement. Il enjambe majestueusement la vallée sèche qui débouche à l'ouest de la ville: une de ses arches au-dessus de la départementale 82 (route de St Sérotin), une autre au-dessus de la départementale 143 (route de Fossoy).

     

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    Le pont-aqueduc à deux étages d'arcades pris de la  route de Fossoy (D143)

     

    L'aqueduc de la Vanne fut construit de 1867 à 1874. Avant cette date, Paris souffrait cruellement du manque d'eau, et Napoléon III cherchait à satisfaire la population parisienne. Le Préfet Haussmann chargea l'Ingénieur Eugène Belgrand de réaliser un projet de grande envergure.
    Belgrand, originaire d'Ervy-le-châtel dans l'Aube, connaissait bien les sources importantes qui jaillissaient
    dans la commune de St Benoît-sur-Vanne, à l'ouest de ce département (les sources d'Armentières). Des relevés précis avaient montré que la cote de ces sources était à 111m au-dessus du niveau de la mer. On savait par ailleurs que le futur réservoir de Montsouris, à Paris, où ces eaux devaient parvenir, était à la cote de 80m.
    C'est donc avec cette dénivellation de 31 m que Belgrand engagea le pari de réaliser un aqueduc ne fonctionnant que par la seule gravité: l'aqueduc de la Vanne.
    Il fallait franchir collines et vallées au mieux, avec une pente faible mais constante.

    C'est pourquoi le tracé de l'aqueduc est aussi sinueux: partout où la chose était possible, on suit les courbes de niveau. Sur la plus grande partie de son parcours, l'aqueduc est enterré, donc invisible. La longueur totale de l'aqueduc de la Vanne est de 173 km. La pente moyenne est donc de : 31:173000 = 1,8 dix millièmes, c'est à dire 18 centimètres par kilomètre!

    (A titre de comparaison, les Romains savaient construire, 1700 ans plus tôt, des aqueducs avec une pente de 1/1000 soit un mètre par kilomètre)
    Quand une vallée est trop importante, l'aqueduc doit la franchir perpendiculairement. Il est alors visible. Deux méthodes sont utilisées:

    1/ le pont-aqueduc:

     

    Des arcades sont construites sur plusieurs niveaux, afin que la pente de l'aqueduc reste constante. La section de l'aqueduc est un cercle d'environ 2 mètres de diamètre. L'eau circule comme une rivière: on parle de « plan d'eau libre ». La hauteur de l'eau représente environ 2/3 du diamètre du cercle. La vitesse moyenne de l'eau est de 2,3 km/h

     La capacité de transport prévue par Belgrand était de 150 000 mètres cubes par jour.
    Les Parisiens habitant les quart
    iers les moins élevés de Paris purent en profiter dès la mise en service de l'ouvrage, le 12 août 1874.

    Cette méthode de pont-aqueduc est utilisée lorsque la vallée à franchir n'est pas trop large. On en connaît un autre exemple à Pont-sur-Yonne, derrière les H.L.M., environ 200 m à l'amont du pont- aqueduc précédemment cité

     

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    Mais le plus majestueux exemple se trouve sur la commune de Cuy (photo ci-dessous), au nord-ouest du noeud autoroutier A5-A19
    Il n'est pas visible de la route départementale 23. Il faut passer sous la ligne du TGV pour voir apparaître, d'une façon saisissante, le « Pont du Gard du Sénonais ».
    Une séquence du film « Milady» fut tournée sur cet ouvrage.

     

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    L'inconvénient du pont-aqueduc est son coût. C'est pourquoi, pour les vallées larges, on utilise le siphon.

     

       2/ le siphon

    Tout le monde connaît « le principe des vase communiquant », où l'on constate que l'eau est au même niveau dans les deux branches d'un tube en forme de U. Cette loi est valable pour un liquide immobile.
    C'est sur ce principe que l'on peut permettre à l'eau de franchir une vallée. Dans ce cas, l'aqueduc n'est évidemment plus « à plan d'eau libre ».

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    Sur un bord de la vallée un ouvrage appelé «tête amont du siphon» reçoit l'eau de l'aqueduc, et l'envoie dans deux, voire trois conduites parallèles, en fonte, appelées

    « files », complètement emplies.

    Sur le bord opposé de la vallée, la « tête aval du siphon » reçoit l'eau des files, et la transmet à l'aqueduc qui fait suite, où la circulation se fait à nouveau à plan d'eau libre.

    Comme l'eau est en mouvement, des frottements se produisent entre les molécules d'eau et les parois de fonte. Une partie de l'énergie se transforme donc en chaleur. Il en résulte que le niveau d'eau dans la tête aval est plus bas que dans la tête amont.

    Cette dénivellation est appelée «perte de charge». Elle dépend:
    - de la longueur du siphon
    - de la section des files
    - de la vitesse de l'eau,
    - de la hauteur entre la tête amont et le point bas,

    Elle peut atteindre plusieurs dizaines de centimètres.
    Comme Belgrand ne disposait que de 31 m de dénivellation entre les sources et le réservoir à Paris, il a donc minimisé le nombre de siphons, afin de ne pas perdre tr
    op d'altitude. Il a trouvé un compromis, en réduisant la hauteur entre tête amont et point bas:

     

        3/ le siphon sur arcades

     

    LES PONTS-AQUEDUCS L'exemple le plus connu pour les Sénonais est celui du « siphon d'Yonne », sur les communes d'Evry, de Gisy-les-Nobles et de Villeperrot. (voir carte IGN )
    Cet ouvrage, de 3800 m de longueur, enjambe la vallée de l'Yonne et ses voies de communication (RN 6, chemin de halage, rivière Yonne, les quatre voies SNCF Paris-Lyon, route départementale 58)
    Sa tête amont se trouve presque au b
    ord de la route départementale 23 (voir la carte). La hauteur des arcades crt jusqu'à l'Yonne.
    La tête aval se trouve sur la « Montagne des 17 villes », appelée ainsi parce qu'on peut de
    là-haut distinguer 17 clochers (par temps extrêmement clair).
    Cet ouvrage n'est pas rectiligne: il présente un important virage de 40° très visible sur la photo.

     

     

     

      LES PONTS-AQUEDUCS LES PONTS-AQUEDUCS

     

     

     

     

     

     

     

    Les têtes amont et aval du siphon sur arcades

     

    Le pont franchit donc l'Yonne presque perpendiculairement, ce qui minimise la portée des 3 arches ( deux arches après reconstruction faisant suite au bombardement de 1940  )

     

    LES PONTS-AQUEDUCS

     

    La photo permet en outre de bien voir, grâce à l'ombre portée, qu'il s'agit d'un siphon sur arcades. Les deux files (1) sont en fonte, de 1,10 m de diamètre (on dit « des conduites de 1100 », puisqu'on parle toujours en mm).

     

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    Jusqu'en 1989, elles étaient recouvertes de terre, afin d'atténuer les trop grandes variati
    ons de température. Mais au fil des années, des fuites s'étaient produites aux joints des conduites de fonte, et on ne pouvait plus déceler l'origine, ni intervenir. Ces fuites provoquaient en hiver des stalactites de glace, qui pendaient entre autre au-dessus de la D 58. Le risque de chute sur un véhicule n'était donc pas négligeable

     

    LES PONTS-AQUEDUCS

    On  a donc retiré cette terre, et remplacé les conduites cette année-là. Cet important et difficile chantier (la pente aux flancs de la Montagne des 17 villes est de presque 45°) a permis aux archéologues de fouiller de nombreuses fosses médiévales, aux environs de la tête aval de l'ouvrage, au bord du chemin des Balthasates (2).
    Ce lieu est très chargé d'histoire: tout près de là, le site gallo-romain de Deilly ou Douilly (voir la carte) a été l'objet de nombreuses fouilles, par Pierre Parruzot et Jean-Yves Prampart. Voir la bibliographie (3)
    La pression de l'eau dans les files est de l'ordre de 3 bars (ou 3000 hectopascals pour être plus scientifique) au point bas. En effet, la dénivellation entre le haut et le bas de «la Montagne» est de 30 m.

       4/ Le siphon sur arcades devient un siphon sur fond de rivière

     

    LES PONTS-AQUEDUCS

     

    En 1940, les files (1) avaient été détruites par les bombardements : quatre arches avaient disparu. Paris ne pouvait donc plus recevoir d'eau de l'aqueduc de la Vanne.
    Trois conduites provisoires furent donc mises en place, au fond de l'Yonne, sur 90 mètres entre les rives : leurs diamètres en mm étaient respectivement 600mm, 550mm et 300mm.
     L'eau des trois petites conduites était collectée pour pouvoir être «reconnectée» sur l'une des files de 1100 mm. L'aqueduc de la Vanne débitait deux fois moins qu'avant le bombardement mais il apportait tout de même au moins 60 000 m3/jour.

     

        5 / Le remplacement de l'arche surplombant la nationale 6

     Le trafic sur cette nationale allait croissant, surtout celui des poids lourds. Or, l'arche de 1874 n'était pas prévue pour cela. Les camions étaient obligés de se déplacer vers le centre de la route pour passer correctement.
    La Ville de Paris a donc fait remplacer l'arche en 1971, après avoir fait détruire l'autre par des artificiers.

     LES PONTS-AQUEDUCS  

    L'aqueduc surplombant la nationale 6 avant 1971, date de sa destruction et reconstruction;

     

     

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    Gilles Souchet a écrit ce texte en 1998. Nous avons dû en actualiser les illustrations : pour cela Jean-Paul Brulé  a  suivi à travers champs  le tracé de l'aqueduc  traversant notre région   pour y retrouver et photographier les points visibles de cet ouvrage.

    A voir quelques photos de l'aqueduc aux environs de Pont-sur-Yonne
    A voir aussi les cartes postales anciennes de l'aqueduc

    =======================================

    (1) - File: terme technique pour "ligne de tuyaux"

    (2) - Ces découvertes, sous la conduite de Jean-Yves Prampart, ont été relatées dans le Bulletin de la SACPY n° 11 (1989), p. 48 bis:« La nécropole de la colline des 17 villes»

    (3) - Sujets abordés dans les bulletins de la Société Archéologique et Culturelle de Pont-sur-Yonne (SACPY) :
    N°3 (1967-70) : Nécropole de la Têne de Villeperrot
    N°6 (1983) : La fosse gallo-romaine de Villeperrot
    N°7 (1984) : Le site gallo-romain de Deilly
    N°8 (1985-86) : Montagne des 17 villes: nouvelle structure gallo-romaine
    N°11 (1989) : La nécropole de la colline des 17 villes
    N°13 (1991-92) : Les enclos de la Montagne des 17 Villes à Deilly
    N°17 (1997) : Entretien du site à Deilly (Villeperrot)

    Les bulletins de la SACPY sont consultables au Centre de Recherches et d'Etudes du Patrimoine (CEREP)
    5, rue rigault  à SENS - ACCES GRATUIT ET LIBRE A TOUT PUBLIC -
    du lundi au vendredi de 14h à 18h le samedi matin de 9h à 13h
    tel: 03 86 83 88 94

     

     


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  • Commentaires

    1
    Mardi 13 Décembre 2016 à 09:43

    Bravo pour cet article très intéressant , cela me rappelle de nombreux souvenirs, entre autres mon emploi de

    "cantonnier des dérivations" dans les bureaux de Sens l' été 1976.

    JP

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    2
    jean ygnard
    Mardi 13 Décembre 2016 à 19:14

    Une très belle et riche présentation de ces ouvrages remarquables.

    Je crois qu'au début , l'eau ne montait pas au 2/3 de la hauteur ; en 1976 des anciens de Villeblevin se rappelaient que l'inspection des voutes se faisait ...en barque !

    Ces ouvrages spectaculaires font presque oublier le creusement de la galerie dans la craie à + de 30m sous terre entre Pont et Villemanoche sous le Gallat.

    Merci également pour ces belles photos et la très intéressante série de cartes postales anciennes sur le sujet.

    3
    Mardi 13 Décembre 2016 à 21:19

    Très intéressant article sur une remarquable réalisation qui unit la vallée de l'Yonne à Paris.

    Bravo pour les photos.

    Jean Prévost

    4
    Philippe BERNARD
    Mercredi 14 Décembre 2016 à 11:11

    Voilà un article sérieusement documenté et de bonne rigueur. Tout l'art de Gilles SOUCHET est d'expliquer clairement le sujet sans recourir à un un langage trop scientifique qui découragerait le lecteur. Bravo ! 

    5
    SCHNEIDER
    Jeudi 15 Décembre 2016 à 20:35

    Les photos sont magnifiques et l'article de Gilles SOUCHET est très bien écrit, moi qui suis novice en la matière, j'ai compris beaucoup de choses tant son article est fort bien écrit. Merci...

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