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    Le lundi 5 septembre 2022, nous avons pu voir (près de 200 spectateurs), le beau documentaire «Arbres Remarquables» de Georges Feterman, président de l'Association A.R.B.R.E.S
    Le lendemain c'était, à Sens (Yonne), la Journée de l'Arbre, une journée de conférences et d'échanges.
    Différents spécialistes y sont intervenus :
    Robert Baeli,  également de l'association A.R.B.R.E.S. (Arbres Remarquables Bilan Recherches Etudes et Sauvegardes), a bien voulu nous confier le texte de son intervention qui insiste sur les arbres remarquables du département de l'Yonne et sur le classement du platane de Cézy (Yonne).

    Merci à lui

     

    Intervention de Robert Baeli (correspondant pour l’Yonne de l’association ARBRES Arbres Remarquables Bilan Recherches Etudes et Sauvegarde - contact : 03 86 66 47 74 )

    le 6 septembre 2022,

    pour la journée de l’arbre à Sens.

    « Attribuer le label Arbre Remarquable de France à un arbre pour mieux le protéger »

     

    L'arbre, la vie...le connaître pour le protéger

    Sophora du château de Labrosse-Montceaux (77)

    Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, nous alerte désespérément sur les conséquences dramatiques du dérèglement climatique en cours et sur l’extrême urgence de mettre en place des solutions. D’autres scientifiques nous informent du rôle bénéfique des arbres comme (entre autres) régulateurs thermiques.

    D’après le magazine Sciences et Avenir de mai 2022 il y aurait 3000 milliards d’arbres sur terre.

    Il faut donc tous les protéger des destructions inutiles liées à l’ignorance ou à la cupidité.

    La France dispose d’un patrimoine arboré exceptionnel (la forêt française s’étend sur près de 17 millions d’hectares en métropole avec environ 11,5 milliards d’arbres1.

    Afin de les sauvegarder et agir à notre échelle pour la lutte contre les bouleversements climatiques, il nous faut nous mobiliser.

    D’après le philosophe Baptiste Morizot2, la crise écologique, crise de nos relations aux vivants est une crise de la sensibilité. La moitié de l’humanité vit maintenant en ville dans des ambiances anthropocentrées. Le plus souvent les arbres, quand il y en a, y sont considérés comme un décor.
    Notre Code Civil (article 673), les traite comme des « objets » par opposition à des « sujets » de droit.
    Et, le droit de propriété étant souverain, un propriétaire peut décider d'abattre ou dégrader un arbre sans autorisation sauf cas très particuliers de protection. Cela même si, récemment, l’article 1247 de notre Code Civil peut aider, en théorie, à prévenir les préjudices écologiques.

    L’association ARBRES et le CAUE 77 (Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement de Seine-et-Marne) travaillent à l’amélioration des textes législatifs les plus nocifs et encouragent la signature de contrats ORE (Obligation Réelle Environnementale, codifiée à l’article L132-3 du Code de l’environnement), qui aident, entre autres, à conserver, gérer, restaurer des patrimoines arborés.

    Par ailleurs, plus que de longs discours didactiques ou punitifs répétés à l’encan, nous postulons que l’on ne protège bien que ce qu’on aime bien et considérer l’altérité de l’arbre comme précieuse nous amènerait à des dispositions vertueuses envers cet élément du vivant dont nous faisons partie. Dans cet esprit, Francis Hallé, botaniste et arboriste de grande renommée (et membre de notre comité scientifique), voit la beauté comme un vecteur de sensibilisation à la protection du vivant. Et le co-fondateur de notre association. Robert Bourdu, tablait sur le respect que pouvait engendrer le « choc émotionnel de la découverte d’un arbre remarquable ».

    Dispositions nouvelles et en tout cas plus vertueuses que celles qui, de la minéralisation des villes (triste exemple des cours d’écoles !) aux élagages trop drastiques par des personnes voulant bien faire mais malheureusement sous informées sur la physiologie des arbres en passant par la prise en otage de l’arbre dans toutes sortes de conflits (voisinage, bords de routes…), ont amené à ce qu’Alain Baraton «le  jardinier de Versailles » décrit dans son livre :    « La haine  de l’arbre  » 3 . 

    L'arbre, la vie...le connaître pour le protéger

    Platanes mutilés inutilement

    Depuis 1994, l’association A.R.B.R.E.S réunit les amateurs, les professionnels et les scientifiques, passionnément amoureux des arbres en général et des arbres remarquables en particulier. Elle s’est donné pour objectif essentiel de les protéger, les sauvegarder, favoriser les recherches les concernant, faire prendre conscience de leur valeur patrimoniale.

    Citons Philippe Rahm dans son Histoire Naturelle de l’Architecture4 qui accompagne l’exposition éponyme produite en 2020 au Pavillon de l’Arsenal à Paris :

    « L’espace public c’est l’ombre partagée d’un arbre, …. C’est lors de ces regroupements fondamentaux des hommes sous l’ombre d’un arbre que la vie sociale et politique a commencé.»

    Qu’ils soient forestiers ou campagnards, ruraux ou urbains, isolés ou reliés à leurs semblables, certains arbres créent parfois ce véritable choc émotionnel dont parlait Robert Bourdu lorsqu’on les découvre. Impressionnants par leur âge ou dimension, passionnants par l’histoire, les vies ou les légendes dont ils sont porteurs, surprenants par leur forme ou leur emplacement, ce sont des ARBRES REMARQUABLES. Nous souhaitons leur conférer une notoriété protectrice en leur attribuant depuis l’année 2000 le label Arbres Remarquables de France.

    Propriétés de particuliers ou de collectivités ils sont environ 700 aujourd’hui. Et, nous espérons que les regards portés sur tous les autres arbres seront plus attentifs et que nous leur témoignerons les égards qu’ils méritent.

    Plus récemment le label Ensemble Arboré Remarquable a été créé pour des groupes d’arbres très intéressants mais dont aucun des sujets sont à eux seuls exceptionnels. Les deux labels ont été reconnus en 2021 par le Secrétariat d’Etat auprès du Ministère de la transition écologique et de la Biodiversité ce qui accroit leur niveau de protection.

    Nous comptons aujourd’hui plus de 1200 adhérents, des correspondants dans presque tous les départements, un comité d’honneur prestigieux et de bons sponsors.
    Notre président, Georges Feterman, a publié de nombreux ouvrages sur le sujet, réalisé deux films et participe à de nombreux colloques et conférences. Nous sommes également sollicités sur des quantités de dossiers en soutien d’arbres menacés.

    Un exemple emblématique de ce que peut faire une mobilisation associative comme la nôtre est le cas du platane de Cézy.

    Je vous raconte brièvement l’histoire.

    En 2007, nos amis de l’ADENY (Association pour la défense de l’environnement et la nature de l’Yonne) me signalent l’existence d’un superbe platane dans une propriété privée au centre de la commune de Cézy près de Joigny.

     

    L'arbre, la vie...le connaître pour le protéger

    Platane de Cézy

          

    Je vais sur place et me voilà ébahi devant ce monument (45 m de hauteur, 10 m 40 de circonférence). Je rapporte son existence à notre instance (très démocratique !) de labellisation et celle-ci lui accorde le label Arbre remarquable de France sans tarder. L’arbre sera admiré par environ 500 visiteurs dès l’été 2007. Mais il y a un problème, ce géant comporte six troncs qui se séparent harmonieusement à 3 mètre 50 du sol et forment un bouquet de branches charpentières dont 3 surplombent la propriété voisine. C’est là que se situe le problème. Comme on l’a dit précédemment, notre Code Civil, dans ses articles 371 et suivants, datant de 1804, veut protéger drastiquement la propriété privée et stipule que : « Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper ».

    Ce droit est protégé, tout jugement contraire serait cassé. L’application de cette disposition reviendrait ici à couper 3 des 6 branches charpentières de 1mètre et plus de diamètre défigurant ainsi totalement l’arbre et risquant d’entrainer des pathologies.

    Or, le voisin « surplombé » est de type « grognon » et il se plaint fort des nuisances occasionnées chez lui à l’automne par les feuilles du platane. Le propriétaire de l’arbre n’est pas non plus d’un caractère romantico-lascif. Résultat, démarrent des relations conflictuelles entre le plaignant et le propriétaire de l’arbre au vu et au su du village. Aucune entente à l’amiable n’est acceptée et l’affaire part au Tribunal d’Instance de Joigny. Je vous passe les détails judiciaires sur fond de suppression du tribunal de Joigny renvoyant l’affaire à celui de Sens, etc … C’est mal parti pour le platane qu’aucune protection, même la nôtre, n’est assez puissante contre l’article « tueur » du code civil malgré les expertises comme celles d’Austin Bonnardot arboriste du CAUE77 qui montrent les conséquences négatives d’une taille sur des diamètres si importants.

    En désespoir de cause, je m’adresse à La DREAL (Direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement) pour voir si un classement au titre des sites (protection ministérielle forte) serait envisageable.

    On me dit que cela ne se fait plus depuis 70 ans car l’Etat ne sait pas quoi faire des arbres ainsi classés quand ils sont morts ou très dégradés. Mais, par chance, une inspectrice des sites (Laurence Ruvilly) particulièrement pugnace et déterminée (j’abrège !) s’emparera du dossier et après bien des péripéties, le 6 février 2018, le Ministère de la Transition écologique et Solidaire viendra donner une heureuse fin à l’affaire par un décret classant le platane au titre des sites. L’arbre et son périmètre proche sont définitivement protégés. Et au passage, une jurisprudence de 70 ans a été retournée.
    C’est, nous l’espérons, le début d’une autre politique de l’arbre qui nous ferait entrer dans une civilisation de l’arbre.

    Parmi la douzaine d’arbres labélisés dans l’Yonne je citerai :

    • Le chêne de St Léger Vauban (Août 2000)

    C’est un des premiers arbres labellisés dans notre département, un chêne pédonculé de 30 m de hauteur et 6 m de circonférence en bord de route

    • Le mûrier blanc de Chassignelles(Décembre 2000)à 15 km Sud Est de Tanlay

    L'arbre, la vie...le connaître pour le protéger

    Mûrier blanc de Chassignelles

    Le premier exemplaire de murier blanc en France a été planté par Olivier de Serres, au jardin des Tuileries vers 1600.
    D'après les estimations, celui de Chassignelles a dû être planté vers 1750.
    Il a reçu le label « Arbre remarquable » en 2002 pour le travail accompli par la municipalité afin de l'entretenir, le préserver et le sauvegarder, il est aujourd’hui en bonne santé (confirmée par une expertise récente). Il a même un « bébé », une bouture de 1m50 plantée non loin.
    Les feuilles du murier blanc servaient à nourrir les vers à soie. Ses fruits sont de couleur rose foncé, ressemblants à des framboises allongées, mais non comestibles.
    Cet arbre est situé sur la route menant à Ancy-le-Franc, juste après la sortie de Chassignelles.

    • L’Oranger des Osages (Maclura pomifera) à la Médiathèque de Monéteau labellisé le 19 octobre 2018. Aucun document sur ses origines sauf sur l’existence d’un propriétaire du bâtiment au 18e siècle qui était un grand voyageur.

    L'arbre, la vie...le connaître pour le protéger

    Oranger des Osages à Monéteau

    • Et bien sûr, le très beau Séquoia de la Médiathèque Jean-Christophe Rufin de Sens labellisé, en avril 2011, que vous allez courir admirer.

    L'arbre, la vie...le connaître pour le protéger

    Séquoia géant à la médiathèque de Sens

    Citons brièvement d’autres labellisés :

    • Le tilleul de Sully à La Postolle en mars 2007

    • Tilleul de Les Sièges en juin 2010 malheureusement mal en point aujourd’hui

    • La Châtaigneraie de Parly labellisée Ensemble Arboré Remarquable en avril 2012, témoignage d’une production locale prospère qui prévalait sur des terrains propices à cette culture que le réseau ferré de l’époque permettait d’exporter

    Un message de notre président, Georges Feterman :

    « A l’heure donc où la protection de l’environnement est devenue une question centrale dans notre société, A.R.B.R.E.S y tient une place essentielle. En aidant notre association à but non lucratif vous participez à la sauvegarde et à la reconnaissance de tous les arbres remarquables de France. »

    En guise de conclusion, pour ma part, je vous invite à planter les arbres remarquables du futur partout où vous le pourrez. Il y a urgence !

    Et enfin, ne vous privez pas du plaisir d’aller voir ou revoir la fresque de Pierre Alechinski sur le pignon d’un immeuble de la rue Descartes à Paris près du Panthéon accompagnant ce poème d’Yves Bonnefoy :

    L'arbre, la vie...le connaître pour le protéger

    Illustration Bonnefoy/Alechinski

    L’arbre des rues

    Regarde ce grand arbre
    et à travers lui
    il peut suffire.

    Car même déchiré, souillé,
    l’arbre des rues,
    c’est toute la nature,
    tout le ciel,
    l’oiseau s’y pose,

    le vent y bouge, le soleil
    y dit le même espoir malgré
    la mort.

    Philosophe,
    as-tu chance d’avoir l’arbre
    dans ta rue,
    tes pensées seront moins ardues,
    tes yeux plus libres,
    tes mains plus désireuses
    de moins de nuit.

    Notes :

    1  https://inventaireforestier.ign.fr/IMG/pdf/180906_publiff_bd.pdf

    2 Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Mondes Sauvages, Actes Sud 2020

    3 La haine de l’arbre, Actes Sud, 2013

    4 Philippe Rahm, Histoire naturelle de l’architecture, Pavillon de l’Arsenal 2020

    5 www.arbres.org

     


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