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GEOLOGIE ET ARCHITECTURE (3) - présence de la craie dans l'architecture rurale de la région
D’après Gilles Fronteau, chercheur en archéologie à l’Université de Reims, il n’y a aucune trace de construction en craie avant le Xème siècle dans la région de Champagne (1). En revanche, du Xème au XVème siècle, on trouve la craie dans de nombreux bâtiments religieux. Ainsi, selon l'auteur, on dénombrerait en Champagne plus de trois cents églises construites en craie. Par la suite, c'est le calcaire dur - plutôt que la craie - qui fut de préférence utilisé dans les édifices religieux. Dans l'architecture populaire, c'est au début du XIXème siècle que l'on trouve la craie comme matériau de construction majoritaire .
Forts du texte de Gilles Fronteau, nous avons sillonné la région pour rechercher des exemples de constructions anciennes en craie. De nombreuses églises ont utilisé très tôt ce matériau. L'église de Bérulle fut notre première découverte. Construite au 16e siècle dans un village situé à la limite de l'Aube, au pied d'un côteau escarpé appelé "la Crayère", la tour est en craie très bien conservée et l'intéreur est entièrement voûté en petit appareillage de craie.
Dans la construction des églises de St Lupien, Villadin, Coulours, Marcilly-le-Hayer, Serbonnes et bien d'autres, la craie est aussi largement présente à l'extérieur comme à l'intérieur.
L'intérieur de l'église St Lupien
Les voûtes de la Poterne de sens
On voit nettement sur ces photos le petit appareillage de craie qui a servi à consrtuire ces voûtes.C'est, dit-on, des carrières à ciel ouvert du Nord de Soucy et de celles de Montaphiland qu'auraient été extraits ces calcaires très blancs et très fins.
La vague de construction au XIXème siècle
Les bouleversements sociaux de la révolution ont également transformé l'habitat rural.
On peut penser que l'accroissement du revenu des paysans a conduit à une véritable vague de constructions. Nombre de maisons sont restaurées, des maisons nouvelles apparaissent remplaçant les plus vétustes, faites de bois, de terre et de chaume.
La craie est partout : c’est le matériau le plus utilisé car il est le moins cher et immédiatement disponible. La craie est souvent mélangée à d'autres matériaux également trouvés sur place (silex, grès). De temps à autre, on trouve pour les angles quelques moellons de grès de la région (carrières de grès de Gisy ou de Villemanoche) ou de récupération (anciennes bâtisses en ruine ou destruction de certains remparts).
Voici quelques exemples de construction rencontrées dans la région utilisant au mieux les matériaux locaux (craie, silex, briques, grès), témoignages de l'ingéniosité des artisans maçons de l'époque
Craie apparente, craie cachée...
Les maisons les plus pauvres, le plus souvent sans soubassement étaient faites de moellons de craie, irréguliers et mal équarris, extraits de petites carrières individuelles proches du village par les paysans eux-mêmes. On complétait la construction des murs par des matériaux composites : morceaux de briques, de grès, de silex, de terre crue. L'enduit de chaux donnait à l'ensemble son homogénéité.
Lorsque des moyens plus conséquents étaient disponibles, on avait recours à des maçons professionnels qui achetaient la craie aux carriers et construisaient les murs avec des moellons "bien dégauchis, parfaitement d'équerres sur toutes faces" (2). Les fondations étaient remplies de maçonneries de grès, briques et silex et ce jusqu'à vingt centimètres (souvent plus) au-dessus du niveau du sol pour éviter les remontées d'humidité. Les quartiers de craie étaient "posés alternativement carreaux et boutisses par assises égales formant toute l'épaisseur du mur scellés avec terre grasse et mortier de chaux et de sable" (3)
Le plus souvent, les façades étaient couvertes d'un enduit de sable et chaux qui occultait le matériau. On ne voyait apparaître la craie que lorsque l'enduit se dégradait.
La craie était-elle considérée alors comme matériau pauvre qui devait rester caché? Ou bien pensait-on que la craie était trop fragile pour résister aux intempéries? Ou encore était-ce pour des raisons de mode et d'esthétique? Par exemple pour mieux faire apparaître le dessin et l'appareillage de briques?
En revanche les murs des granges, les murs des jardins et les murs des cimetières - toujours très présents dans le paysage du Nord de l'Yonne - n'étaient pas enduits. Ils témoignent encore du fait que la craie, lorsqu'elle est de belle qualité, peut très bien résister au temps. On sait d'ailleurs que, lorsqu'elle est exposée à l'air libre, une couche de "calcin" imperméable se forme qui la protège de la pluie et du gel. Il est donc préférable de ne pas couvrir ces murs d'enduit au ciment qui empècherait la craie de respirer mais, si c'est nécessaire, d'utiliser des enduits composés d'un mélange de sable, de chaux éteinte et d'eau.
Actuellement, certains remettent à nu les façades de maisons pensant -mais à tort- retrouver l'aspect de l'habitat ancien. Même si, comme on l'a vu, la craie était en réalité généralement cachée, il n'en demeure pas moins qu'est ainsi révèlée à la fois la technique de construction des murs anciens et l'omniprésence de ce matériau.
Il est toutefois utile de consulter les préconisations en matière de rénovation du Conseil d'Architecture d'Urbanisme et d'Environnement (CAUE ) de l'Yonne (voyez le lien en note (4).
Murs de jardins, murs de cimetières
Un exemple de construction en craie au début du 20e (1906)
Cette très belle construction en craie, bois et briques est la création d'un architecte qui, contrairement à la mode de l'époque privilégiant les matériaux nobles (meulières, grès, calcaires durs), a choisi d'utiliser et de laisser apparente la craie. Peut-être s'agissait-il de rappeler le colombier ancien auquel la maison est accolée, beau bâtiment construit de craie, qui faisait partie de la ferme-chateau de la seigneurie de Michery.
(1) La craie:pierre à batir du terroir champenois par Gilles Fronteau
(2) d'après le devis estimatif de l'architecte royal François Gayet de 1762 concernant la reconstruction du presbytère de Michery. Ce devis donne une connaissance exacte des modes de construction préconisés dans le courant du 18e siècle. Pour la copie de ce devis, voyez Andrée Mignardot, Histoire d'un village du Nord-sénonais Michery, Sens, 1996, p. 342.
(3). ibidem
(4) Maisons paysannes de France: les bonnes pratiques à respecter
Première partie : UNE HISTOIRE de la CRAIE SENONAISE
Deuxième partie : CARRIERES et CARRIERS
Quatrième partie: LE GATINAIS
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Commentaires
2ygnardJeudi 5 Février 2015 à 16:21une suite , attendue et qui enrichit encore ce sujet si passionnant.
Quel beau travail !
Merci3Cécilia AgierJeudi 5 Février 2015 à 16:214MoniqueDimanche 12 Juin 2016 à 13:50Merci pour ces informations très détaillées et instructives qui aident à comprendre le travail dans les carrières de Malay le Petit.
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encore merci